Le nom est familier et renvoie immédiatement à la « Diamond Chair ». Devenu en très peu de temps un «Must have», ce siège au design culte fit rentrer son auteur en 1952 dans le Panthéon du Design. On oublie trop souvent et c’est à tort que Harry Bertoia n’est pas "designer" mais sculpteur. Bon nombre dans le marché le considèrent comme l’égal de Calder. Ses œuvres s’arrachent en galerie et dans les ventes de prestige.
Bertoia, c’est l’histoire d’un jeune immigrant italien côtoyant les plus grands noms de l’architecture et du Design tels, Walter Gropius, Charles et Ray Eames et Eero Saarinen. Auteur d’une chaise emblématique fruit d’une rencontre fortuite avec les éditeurs Hans et Florence Knoll, Harry Bertoia désormais à l’abri financièrement, se consacrera uniquement à sa passion, la sculpture. Le mystère contenu dans ses sculptures consiste à définir notre univers de vie et tenter de comprendre pourquoi l’homme en fait partie.
Harry Bertoia : Une formation artistique dans les meilleures universités américaines.
Cette sculpture en acier recouvert de cuivre et de nickel est intitulée : Open Square-Leaf Tree Sculpture. Elle sera proposée à la vente le 22 octobre prochain par Christie's Paris (Lot 309, sale 5594). Son estimation est de 120 000 € à 180 000 €.
Issu d’une famille d’agriculteurs du nord de l’Italie, Harry Bertoia immigre au Etats-Unis pour retrouver son frère aîné, habitant Détroit. Il intègre alors la Technical High School puis rejoint sept ans après la Cranbrook Academy of Art dans le Michigan. Il y fait la connaissance de Walter Gropius, de Charles et Ray Eames et de Eero Saarinen.
Elève talentueux, Bertoria devient en 1939 directeur du département de métallurgie, fonction qu’il abandonne quelques années plus tard au profit du département d’art graphique à cause de la guerre et de la pénurie de métal. Il exprime alors son art en dispensant des cours de dessin pour la joaillerie. Il fera notamment les alliances de Charles et Ray Eames et de Edmund Bacon à l’occasion de leur mariage.
Un sculpteur évoluant auprès des plus grands designers : les Eames et Eero Saarinen.
Bertoia se marie en 1943 avec Brigitte Valentiner et quitte son poste d’enseignant pour aller s’installer en Californie. Il s’en va rejoindre Charles et Ray Eames pour participer à l’effort de guerre. Bertoia travaille pour la Evans Product Company. Il dessine des manuels d’utilisation destinés à l’aéronautique et à l’équipement médical.
Toujours avec les Eames, Bertoia réalise des recherches sur les techniques de cintrage du contreplaqué. Avec Saarinen, Bertoia développe une méthode pour fabriquer des atèles en contreplaqué moulé pour la Plyformed products company. Ces technologies doivent servir à l’aéronautique, mais auront une incidence certaine sur le design du XXe siècle.
Parallèlement à ces recherches, Bertoia suit des cours de soudure à l’Université de Santa Monica. De cette formation naitra un an plus tard ses recherches sur le mobilier. Il commence à se pencher alors sur les prototypes du piétement métallique qu’il fera pour les Eames.
Ce partenariat est de courte durée puisque Charles et Ray Eames délaissent rapidement le métal au profit du bois. Se sentant non reconnu à sa juste valeur, Bertoia quitte la société Evans en 1946 après trois années de collaboration.
Une Rencontre qui changera le destin de Bertoia : Hans et Françoise Knoll.
Ce siège « Diamant » est édité par Knoll depuis 1952. Sa structure est en maille de fils d’acier cintrés, soudés puis chromés ou recouverts de rilsan blanc, noir ou coloré. Le « panier » peut être entièrement houssé, ou bien recevoir une galette de mousse, recouverte de tissu ou de skaï. Tous les modèles de ce siège sont estampillés depuis 1995. Comme nous le verrons dans cet article, le montage des fils de la première série avant le procès avec Herman Miller était composé de deux liserés métallique tout autour du « panier ». Autre fait caractéristique, les premières versions utilisaient un fil d’acier plus fin et peint. Copyright : Delorme - Collin du Bocage, Paris, lot 389 de la vente du 1er juillet dernier.
Suite à cette collaboration avec Charles et Ray Eames et Eero Saarinen, Betoia part pour La Jola où il résidera deux ans. Harry Bertoia y fait ses premiers essais de sculpture. Hans et françoise Knoll amis du couple Bertoia et familiers de son travail de sculpteur lui demandent de réaliser pour leur société une ligne de mobilier. Hésitant, Bertoia tarde à répondre et c’est grâce à son épouse, Brigitte que la collaboration entre Bertoia et Knoll devient effective. Celle-ci a eu le génie de forcer son mari en répondant elle-même à l’invitation des Knoll en envoyant une carte postale signalant que son mari Harry est heureux de venir les rejoindre en Pennsylvannie.
Bertoia fait donc pour les Knoll six modèles différents qui changeront le cours de sa vie. Zesty Meyers de la galerie XXE siècle basée à Manhattan dit que le fruit de cette collaboration : le siège « Diamond » ainsi que le mobilier qui en découle est pour Bertoia comme le ticket gagnant de la loterie nationale. Le contrat signé lui procure ses premiers 20 000 $ de rente. Cette ligne de mobilier donne à l’artiste selon ses propres mots des « ailes ».
Ce design devenu culte est vraiment celui d’un sculpteur. En effet, les meubles de Bertoia ne satisfont pas seulement des exigences fonctionnelles. Comme ses sculptures, ce mobilier se veut aussi une recherche sur la forme et l’espace.
Harry Bertoia dit de la « Diamond Chair » que « si l’on regarde bien, elle est principalement constituée d’air puisqu’il s’agit en fait d’une sculpture où le vide passe à travers ». Cet effet n’est possible que par l’utilisation du fil d’acier. Membre du "Minimal art", Bertoia applique leur devise qui est "moins c’est plus". Le fil de fer permet à Harry Bertoia de rejeter tout superflu et de mettre la structure en valeur. Bertoia raconte avec humour que c'est à la vue d'un égouttoir en fil de métal qu'il aurait imaginé ses sièges "Diamond", en résille d'acier.
Le modèle emblématique qui mit Bertoia à l’abri financièrement est un modèle réalisé en 1952 pour Hans et Florence Knoll. Chaque fil d’acier constituant le « panier », la coque où vient se lover le connaisseur est déformé et soudé à la main, selon un gabarit précis car il n’a pas été trouvé de processus de production de masse approprié, la machine rendant un résultat fort décevant. Harry Bertoia utilise les nouvelles technologies de l’époque (soudure par points) et il exploite à fond les possibilités de l’acier : il n’aurait pu être réalisé dans un autre matériau : aérien, léger, mais solide en opposition avec les stéréotypes sur ce matériau. C’est un objet très technique à réaliser mais cette difficulté n’est pas visible : l’objet final se caractérise par son évidence.
Le siège « Diamond » fait rentrer Bertoia dans le Panthéon du Design
Copyright Sotheby's.
La puissance du dessin de Bertoia et son goût de l’innovation technique lui ont garanti une place au Panthéon du Design alors qu’il n’a réalisé que très peu de pièces pour Knoll.
Cette réussite commerciale fulgurante lui vaut un procès de la part de Herman Miller, société éditrice des Eames. Il est reproché à Harry Bertoia d’utiliser de manière abusive un brevet appartenant à Charles et Ray Eames. En effet, Le filetage d’acier et ses effets de quadrillage trouvent leur origine à la charnière des années 1940 et 1950 dans la fameuse « Wire Chair » des Eames.
Comme une coque évidée inspirée de leur "Fiberglass Chair" : imaginée en fil d’acier soudé dont le confort d’assise peut se passer de rembourrage, les sièges créés par Harry Bertoia reposent sur le même principe. En effet, à l’origine, le siège « Diamond » comprenait deux lisérés métalliques reliant l’assise et le dossier du fauteuil. Bertoia perdit le procès et il dut corriger le design du siège « diamond » en mettant à la place un unique filet de métal plus épais.
Il tient cependant à minimiser l’impact de ce procès qui est l’œuvre d’un éditeur voulant arrêter coûte que coûte un concurrent devenu trop gênant. Rappelons d’autres parts, que Harry Bertoia lors de sa collaboration avec les Eames a pris des cours de soudure et que ces derniers lui ont permis de réaliser dès l’année suivante des prototypes de piétement pour Charles et Ray Eames. Il a quitté ensuite les Eames en 1946 puisque ces derniers ont souhaité minimiser l’utilisation du métal dans leur mobilier.
Le sujet est désormais clos étant donné l’engouement du public qui a totalement plébiscité ce design totalement innovant. Harry Bertoia ne se passionne plus désormais que pour la sculpture et délaisse peu à peu le design.
La sculpture : Une extension de la nature et un moyen de sensibiliser l’homme.
Sculpture « Buisson » réalisée par Harry Bertoia. Fils de bronzes soudés, recouverts d’une patine verte. Circa 1960. Le premier modèle de ces « buisson » est dû à Florence Knoll qui commanda trois pièces. Elle demanda à Harry Bertoia de lui faire ce qu’elle appelait les arbres de « Pennsylvanie » qu’elle avait l’habitude de contempler en se rendant à son Showroom. Copyright Christie's, Lot 39, vente du 11-12 janvier 2005.
Désormais à l’abri financièrement, Bertoia se concentre sur la sculpture à travers laquelle il s’exprime grâce au métal. Le mystère contenu dans ses sculptures consiste à définir notre univers de vie et tenter de comprendre pourquoi l’homme en fait partie.
Dans ce sens, Bertoia tente de montrer grâce au métal que les véritables richesses sont dans la nature. Bertoia considère sa sculpture comme une extension de la nature dont le but est de toucher et de sensibiliser l’homme puisque Bertoia cherche à mettre à portée de vue de l’homme ce qu’il oublie de contempler dans la nature.
Dans cette direction Harry Bertoia à partir des années 1950 et ce jusqu’en 1970 utilise le métal comme outil de réflexion sur la nature. Il agrandit tout ce que la nature comporte de petit afin que l’homme redécouvre ce qui l’entoure (Buisson, arbustes, fleurs…) et de manière concomitante remet à l’échelle humaine tout ce que l’homme ne peut apercevoir (nuages, étoiles, soleil…).
Ce n’est qu’à partir des années 1970 que Harry Bertoia utilise le métal comme outil de réflexion sur l’homme.
Fait marquant de l’œuvre de Harry Bertoia, aucune de ses œuvres ne sont signées et n’ont généralement pas de titres si ce n’est ce qu’elles doivent nous permettrent d’observer. En effet, il n’y a pas de titre car ce que Bertoia crée fait parti de l’univers. Pour Bertoia, un titre ne change rien à la perception de l’œuvre car pour lui l’art n’existe que par le déclic que le spectateur doit ressentir en lui, il doit pouvoir répondre à la question « que voyez-vous ? »
L’œuvre de Bertoia est de plus en plus recherchée à tel point que John Elkind de la galerie Lost City Arts a consacré il y a quelques années, son stand à Harry Bertoia lors de l’Armory Show à New York. John Elkind dit de Bertoia qu’il est au moins l’équivalent de Calder. Il rajoute même en disant que Bertoia fait avec le métal ce que Pollock a fait avec la peinture. John Elkind regrette néanmoins que son œuvre soit pour l’instant encore sous-évaluée.
Le métal comme outil de réflexion sur la nature.
Bertoia considère sa sculpture comme une extension de la nature. Elle est un moyen de montrer à l’homme grâce au métal les véritables richesses présentes sur terre.
Son œuvre est donc le prolongement positif des formes naturelles, des textures et couleurs de la nature. Ce que la nature pouvait faire dans de petites formes vivantes, Bertoia l’amplifie avec des métaux pour surprendre le spectateur et lui montrer la beauté de la nature à petite échelle qu’il négligeait (Buisson, arbustes, fleurs…)
A l’autre extrémité de l’echelle humaine, Bertoia nous rapproche les choses en nous permettant de contempler à échelle humaine tout ce qui nous dépasse (nuages, étoiles, soleil…).
Le travail de Bertoia sur la nature s’échelonne entre 1950 et 1970 et se décline à travers 17 modèles.
Le métal comme outil de réflexion sur l’homme
Cette paire de sculpture "Sonambient"ou"Sray" est constituée de fils en acier inoxydable placés en forme d’éventail. Ces fils sont retenus dans une base cylindrique en acier chromé. Copyright Sotheby's NY, 24 septembre 2009.
À partir des années 1970, Bertoia utilise le métal comme outil de réflexion sur l’homme. Après avoir étudié l’environnement de l’homme, Bertoia traduit par ses sculptures « Sonambient » les expressions de l’homme. Il s’agit d’œuvres sur pied partiellement mobiles qui résonnent sous l’effet du vent ou quand on les touche. C’est l’enchevêtrement et l’étirement du métal qui faisant face au vent ou au toucher crée des nuances de tonalités différentes. Il traduit ainsi l’expression de l’homme grâce aux métaux par le mouvement et le son de ces sculptures.
À ce titre, Harry Bertoia fit des concerts et 9 albums tous intitulés « Sonambient ».
D’ailleurs dans les années 1990, sa fille retrouva dans l’une des granges de la propriété familiale en Pennsylvanie des bandes sonores et décida de les vendre aux enchères. C’est le label japonais PSF records qui les acheta et édita grâce à ces bandes quatre autres albums intitulés « untitled ». Ces enregistrements sont toujours proposés à la vente.
Thibault d’Aubigny
Spécialiste en design américain et européen
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Illustation principale : Copyright Christie's, lot 280, vente du 16 novembre 2006.