Elément phare du triptyque formant « l’habit à la française » et dont le costume 3 pièces sera l’ultime avatar, le gilet est une des pièces du vestiaire masculin qu’il n’est pas rare de découvrir dans les malles de costumes anciens ainsi qu’en vente publique.
I. De la veste au Gilet, la coquetterie dévoilée
Succédant au pourpoint vers 1670, le gilet - ne prendra ce nom que dans le dernier tiers du XVIIIe siècle.
Munie de poches et de boutonnières souvent factices, la veste à basques descend encore jusqu’à mi-cuisse sous la Régence. Ce n’est qu’après avoir perdu ses manches longues et avoir été raccourcit jusqu’à la taille qu’elle devient gilet, vers 1760.
Dans la première partie du siècle, le gilet ou veste, dont seule la partie visible est en « étoffe riche » (le dos ajustable par un lacet étant coupé dans un tissu ordinaire de lin ou coton) est le plus souvent assortis à l’habit. Velours ciselés miniature ou gros de Tours unis rehaussés de broderies d’or et d’argent seront longtemps en vogue, notamment pour les costumes d’hiver. Toutefois, l’exubérance des étoffes aux motifs de fleurs surdimensionnées cède le pas vers 1760 aux semis de fleurettes et rayures.
Dès 1770, la mode préfèrera les taffetas ou Pékins rayés et plus souvent encore les satins unis de tons plus clairs que l’habit, jaunes verdâtres dits « merdoye » et surtout blanc ivoire.
Ces gilets délicatement brodés en soies polychromes (Voir illustration principale ci-dessus) constituent la grande majorité des pièces vues en ventes publiques. Ils sont le plus souvent brodés en pièces ou à disposition. Leur décor, sélectionné parmi des planches de motifs ou échantillons du brodeur, a été soigneusement brodé à la forme sur le lé de tissu non coupé, avant d’être envoyé au tailleur qui coupera et assemblera le gilet aux mensurations de son commanditaire. Il n’est d’ailleurs pas rare de rencontrer ces modèles délicatement gouachés qui témoignent de l’imagination sans fin des brodeurs et de la coquetterie des élégants de l’époque.
L’homme de cour du XVIIIe ne craint pas d’être «bling», il raffole des filés or ou argent, des sequins, paillons, miroirs taillés à facette, srass et autres «clinquants» mêlés à la soie des broderies, pour briller de mille feux à la lueur des chandelles.
A partir de 1780, les traditionnels modèles à festons, guirlandes et jetées de fleurs s’enrichissent de petits dessins figuratifs très populaires. Si le costume se fixe dans une simplicité héritée de l’Anglomanie, la fantaisie demeure encore dans le gilet de coupe carré, aux poches droites sans rabat et petit col montant à revers brodé. En étoffe rayée ou changeante, il s’arrête à la taille et laisse bien visible sur la culotte les breloques, montre, lorgnon qui survivront à la simplification du costume.
II. Le gilet d’homme, bastion de la singularité de « l’homme paré » *
Les décors des gilets à courte basque et petit col droit d’époque Louis XVI regorgent d’allusions voilées inspirées de fables ou pastorales. Ils immortalisent aussi des épisodes de chasse ou de batailles (détail, ill.2), des opéras à la mode ou encore l’actualité avec les ballons gonflables, quand ils ne s’ornent pas de représentations libertines destinées à rester cachées «sous le manteau».
A la révolution, le gilet peut se montrer subversif et permet à son propriétaire d’afficher sa loyauté politique comme Robespierre qui arborait un gilet orné de figures et maximes révolutionnaires.
Bel exemple, cet incroyable gilet (ill.3, ci-dessous) d’un noble fraîchement converti à la cause révolutionnaire et dont l’allégeance se fait connaître par un simple gilet en maille tricolore qui invite à aller au-delà de l’enveloppe… Sur les poches sont brodées les devises «honi soit qui mal y pense» ou «l’Habit ne fait pas le moine»; au revers du col, une chenille et un papillon aux ailes coupées, symboles de l’abandon d’un mode de vie superficiel à l’heure ou le luxe des toilettes est assimilé à la tyrannie. Mais s’il est de bon ton d’adopter une mode moins tape à l’oeil on peut au contraire afficher son opposition à la révolution comme ces royalistes qui paradaient armés dans des gilets couverts de fleurs de Lys après la chute de la Bastille!
Sous le Directoire et le Consulat, la palette de couleurs est atténuée, le style décoratif est plus restreint avec une certaine rigidité et stylisation des motifs.
Après quelques années de simplicité démocratique, on assiste avec l’Empire au retour à la formalité de l’habit de cour avec de superbes habits et gilets de cérémonie en velours épinglé brodé. Vers 1830-1840, (ill.5, voir ci-dessous) le gilet à col châle en velours miniature ou peluche se porte très court. Si le «Dandy» romantique n’hésite pas à comprimer sa taille dans un corset, sous un ou plusieurs gilets superposés , ce dernier bastion d’originalité d’une tenue de plus en plus dénuée de lustre finit cependant par disparaître dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Après avoir végété comme élément d’un costume «3 pièces» uniformément gris ou noir, le gilet a repris ses droits dans les années 80 permettant d’exprimer une fantaisie disparue. Ainsi, moyennant quelques retouches, il n’est pas rare de voir des élégants modernes plastronner dans un authentique gilet ancien lors de mariages ou autres cérémonies …
Estimés entre 300 et 500 euros, les gilets en gros de Tours ou satin brodé d’époque Louis XVI ainsi que ceux, plus rares, en brocart d’or ou d’argent d’époque Louis XV enregistrent parfois des enchères élevées allant de 3 000 à 7 000 euros, même en étant dissociés de l’Habit qu’ils complètent.
Séverine Experton-Dard
Expert en Etoffes, Costumes et Papiers peints anciens
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Légendes Illustrations :
ill.1 principale. Gilet brodé, époque Louis XVI
ill.2 .Détail de rabat de poche d’un gilet de marin, vers 1780, Crédit Thierry de Maigret, 18 avril 2008
ill.3.Gilet Révolutionnaire conservé au LACMA (Los Angeles County Museum)
ill.4.Gilet Directoire imprimé à l’encre en taille douce (musée de Bourgoin-Jallieu)
ill.5.Gilet Romantique 1ère moitié du XIXe siècle
* L’Homme paré, exposition aux arts décoratifs 2005