Eileen Gray (1878-1976) est l’une des personnalités les plus marquantes de l’histoire des arts décoratifs et de l’architecture du XXème siècle.

Pratiquement oublié de son vivant, son travail est redécouvert à la fin des années 60 et au début des années 70, lors de la vente aux enchères du mobilier du couturier et grand collectionneur : Jacques Doucet (1853-1929) organisée en 1972, soit quatre ans avant sa disparition. Créatrice indépendante et moderne, ses œuvres sont aujourd’hui devenues des classiques de l’Art Déco et du Design.

Art Déco : Exotisme et Art du Laque.

D’origine irlandaise, elle étudie les arts appliqués à Londres et y découvre l’art du Laque, c'est-à-dire l’art de laquer les meubles et objets pour obtenir une matière décorative, à la surface lisse, profonde et colorée.

Installée définitivement à Paris en 1907, elle se forme auprès de l’artiste laqueur japonais Seizo Sougawara, avec lequel elle collabore à la réalisation de panneaux décoratifs, paravents, petites tables et sièges.

D’abord influencée par les modèles d’Extrême-Orient, elle développe rapidement un style épuré et moderne et devient l’une des grandes spécialistes du Laque jusqu’en 1930.

Connue de son vivant par un petit cercle de collectionneurs, elle vend ses premières œuvres au couturier Jacques Doucet à partir de 1913. Suivent ensuite la modiste Suzanne Talbot qui lui commande des ensembles pour la décoration de ses appartements, le Maharadja d’Indore, la comtesse d’Oxford…

Eileen Gray est également une innovatrice dans la forme des meubles. A une époque où beaucoup d’ensembliers décorateurs restent fidèles aux lignes du XVIIIème siècle, elle développe un style propre et surprend la critique en s’inspirant des arts premiers, océaniens et égyptiens.



Elle réalise notamment entre 1920 et 1922 un modèle de chaise longue en forme de pirogue, en bois laqué et arraché, pour l’appartement de la rue de Lota de Suzanne Talbot.

Dans une recherche permanente de simplicité, les lignes de ses meubles deviennent de plus en plus en plus abstraites et géométriques.

En 1922, elle crée un modèle de paravent en bois laqué noir et structuré à partir d’éléments rectangulaires. Conservé au Musée d’Art Moderne de New-York, ce meuble fit partie de la collection de l’un des maîtres de l’Art Nouveau : Hector Guimard.



Art Moderne : Architecture et « Formes Utiles ».

Aux débuts des années 1920, Eileen Gray prend une nouvelle direction. Délaissant progressivement le Laque et les arts appliqués, elle s’intéresse à l’architecture moderne et renouvelle la forme de ses meubles. Ses créations feront d’elle une des premières personnalités marquantes de l’histoire du design.

En 1921, elle rencontre l’architecte théoricien roumain Jean Badovici, avec lequel elle collabore à partir de 1924 à la construction de la maison E-1027 à Roquebrune près de Monaco. Chargée de son ameublement, elle réalise un ensemble de meubles : tables, sièges, miroirs, fauteuils… très novateurs pour l’époque.
Ils ne sont plus en bois laqués et sont devenus utiles et légers.

Leur structure est moderne et faite de tubes d’acier courbés. Les plateaux des tables sont en verre. Meubles à système, ils s’adaptent à l’usage de leur propriétaire.

Elle est ainsi avec Marcel Breuer, Gerrit Rietveld, Charlotte Perriand, une des premières à réaliser des meubles avec des structures tubulaires en acier.

La forme du meuble constitue ainsi son unique décor. Le luxe cède la place à la simplicité et à une forme utile.



La table circulaire E-1027 est un bon exemple de sa modernité. Créée en 1927, elle pourrait être une création d’aujourd’hui. Rééditée comme
« classique du Design » depuis près de 40 ans, c’est un meuble ajustable, utile et adapté à l’espace moderne.

Le Corbusier (1887-1965) est l’un des premiers à reconnaître en elle l’une des pionnières de la modernité et l’invite à exposer dès 1930 ses créations et maquettes d’architecture à l’occasion d’expositions internationales.



Eileen Gray est ainsi une créatrice incontournable de meubles du XXème siècle. Spécialiste du Laque et de la structure moderne, sa reconnaissance aujourd’hui n’est pas encore complète. Les collectionneurs ont bien compris qu’elle resterait pour longtemps une valeur d’avenir. Certaines de ses créations d’époque se négocient de nos jours plusieurs millions d’euros.

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Panneau décoratif : Eileen Gray et Seizo Sougawara, La forêt enchantée dit aussi le magicien de la nuit, 65x81cm, 1912, vendu 380 000 € le 3 mars 2003 chez Mes. Beaussant Lefèvre.